Injury time

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dimanche 12 février 2012

Les doloristes.

Ce billet est une suite de "Le foot est une religion comme les autres!", que vous pouvez lire ici.

Les avis se partagent sur l'origine de dieu et de l'Homme. Qui fût le premier , qui a crée le second? La question revient à se demander si l'on croit, ou non.  Par contre, il n'est pas de doutes sur les origines de la religion et du football, ils sont l’œuvre de l'homme. Dès lors, il est logique que l'on retrouve un peu de l'auteur dans les œuvres.  Et si l'on se met à considérer le football comme une religion comme les autres, on peut très vite lancer des ponts pour relier ces deux rives de l’œuvre humaine. Jetons, par exemple, un coup d’œil sur cette très terrienne propension à se faire mal. Car, oui, le football et la religion ont une relation privilégiée à la douleur. Aussi bizarre que cela puisse paraître, des fidèles et des supporters ont toujours lié mortification et passion, la souffrance et l'ardeur.

Felipe Alvarez est un illustre inconnu pour la majorité d'entre nous. Ce jeune colombien partage pourtant le gène du football avec nous. La passion, il la connait. Son club, c'est l' Athletico Nacional. Las de porter le maillot à rayures vertes et blanches, il a eu la fantaisie de le graver dans sa peau, dans sa chair. Par amour pour son cercle et pour le martyr Andres Escobar,  Alvarez a accepté de subir la torture de la roulette. Et pas celle de Zizou, celle qui vous injecte l'encre dans la carne ad vitam aeternam. Quelle drôle d'idée, j'en conviens. Pourtant, quand on sait que la Colombie est un pays pieux, il n'est pas vain de chercher l'influence de la Bible dans cette affaire là. Dans l' ancien testament, cette première mouture des lois du jeux, le roi David était déjà un aficionado de la douleur. Après avoir foudroyé Goliath d'une cahouète en pleine lucarne, le jeune berger devint roi, et ne cessa de, conjointement, mener la guerre et vénérer Dieu. Dans le cadre de la première de ses activités, David disposait d'un général de talent: Urie le Hittite. Si Urie avait du talent, sa femme Bethsabée en avait encore plus.Pour avoir les coudées franches, David envoya Urie jouer un match a l'extérieur qu'il ne pouvait pas gagner. Urie périt en héro pendant que son roi faisait un remake de "John Terry and Wayne Bridge's WAG". L'épisode est resté célèbre, ainsi que la chansonnette entonnée par le souverain pour arriver ses fins avec la belle: "Bethsabée...Bethsabée mucho...". Mais bien vite, Dieu toqua à la conscience de l'ardent souverain. Et, bien vite David s'amenda. Pas de carte rouge, pas de suspensions, mais David s'engagea sur la même voie que Felipe Alvarez : la douleur. Il opta pour le sac et la cendre : une camiseta de jute et un plongeon, non pas dans le rectangle, mais dans la cendre. Aïe, ça gratte... Le foot et la religion ont amené Felipe et David, par amour ou par expiation, à revêtir un habit de souffrance. Si ces deux exemples peuvent paraître éloignés, une petite visite chez le tatoueur vous prouvera le contraire. Pour orner son mollet, son avant-bras ou l'épaule, les crucifix et écussons de l' AC Milan, ont toujours la côte. Tandis qu' au rayon initiales, le succès des INRI et INTER ne se dément pas. Nul besoin d'une étude sociologique pour se rendre compte la clientèle de ses décorateurs, se trouve plus dans les travées des stades que dans les rangs des Amicales Philatélistes, plus sur les bancs de prière que sur jefaisdupatchwork.com.

Mais ces choses doivent être dans la famille car un descendant du bon roi David, connu sous le nom de Jésus de Nazareth, fit lui aussi preuve d'un penchant pour la souffrance. Avec des déclarations bien senties comme: " Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends lui aussi l'autre",  il entra direct dans le Hall of Fame des doloristes de tout poil. Le fils de Dieu jugea également bon de se confronter aux éléments en trekkant dans le désert durant 40 jours. La tête dans les nuages, il omit de se prépare un gueuleton et jeûnât 40 jours durant. Par amour pour son papa, il affronta les sévices de la soif,  la brutalité de la faim, les morsures du froid, et pâtit de la chaleur. Deux mille ans plus tard,  affronter les éléments est toujours une activité appréciée des footeux. Dans ce domaine, le cas du mythique Patrice de Péretti, alias "Depé" est frappant. A l'aube des années 90,  ce jeune supporter marseillais suit de près la grande époque de équipe phocéenne. Impressionné par des supporters de l'AEK Athènes en visite au vélodrome, il prît le pli de les suivre dans leur façon d'encourager les leurs: torse-nu nonante minutes! Si cela n'a rien d'une performance dans les douces soirées méditerranéennes de Massilia ou d'Athènes, Depé ne se démonte pas en déplacement et met un point d'honneur à conserver la tenue d'Adam par tous les temps. Même l'hiver berlinois et les moins douze degrés qui l'accompagnent n'y feront rien,  la passion pour l' Ohaime de Depé était plus forte que le froid, la douleur, que tout. Dix après sa mort, son exemple est toujours suivi dans les stades, et au détour d'un arrêt de jeu ou d'un changement, les réalisateurs de télévision se régalent toujours de nous montrer la virilité des certains acharnés en hiver. Les amateurs de tennis ou de polo font généralement preuve de plus d'humilité face à Mère Nature.


Enfin, la douleur dans le foot c'est aussi la violence, et qui dit violence dit hooliganisme. C'est un processus curieux qui pousse certains extrémistes à passer du tatouage au poing dans la figure. De recevoir à donner. Quand des fans ultras de Liverpool, de la Juve, ou de Besiktas traversent leur pays ou l'Europe pour suivre leurs équipes, et qu'ils se retrouvent à 40 parmi 40000 supporters adverses, ils sont tels des missionnaires. Ces religieux que l'on envoient apporter la bonne parole dans les terres impies. Seuls face à la multitude, leurs destins rencontrent eux aussi souvent la violence. La violence de leurs préceptes rencontrent souvent la violence physique. Dès l'origine, les apôtres, enviant probablement les souffrances du Christ, s'en allèrent aux quatre coins du monde afin d'évangéliser les masses hérétiques. A l'époque, prendre son bâton de pèlerin et aller crier les gloire de Dieu à Jérusalem, à Rome ou en Arménie était aussi courageux que d'aller, aujourd'hui, proclamer la supériorité du PSG sur la Canebière. Admettons qu'il faut une bonne dose de témérité pour annoncer à des peuplades lointaines que leur dieux sont des faux-dieux, que seul Dieu existe, et enfin que si les impies persistent dans leurs méprises, les enfers leurs sont promis. Exactement comme celle qu'il faut pour aller scander des supputations sur les activités professionnelles des génitrices des fans adverses, alors que ceux-ci sont dix fois plus nombreux. Si les missionnaires se contentaient de chanter la splendeur et l'infini bonté de Dieu, et si les supporters se limitaient à exhorter leurs joueurs chéris, les débordements seraient plus rares. Dans le supporter en déplacement, comme dans le missionnaire, il y a une bonne dose de provocation: Je viens de loin, et moi je sais ce qui est bon, pauvres mécréants!  Bien que sporadique et regrettable, on en arrive aux mains. Saint-Etienne fût lapidé à Jérusalem, Saint-Barthélemy fût écorché vif à Albane en Arménie, et Saint-Pierre fût crucifié la tête en bas à Rome. Le privilège d'une mort douloureuse donne aux missionnaires le statut très envié de martyr, et des grosses chances d'accéder à la canonisation. Quant au hooliganisme, la société civile condamne à juste titre l'ensemble des débordements. Mais vu depuis l'autre bout de la lorgnette, vu depuis le sein de ces groupuscules, la participation aux bastonnades et autres coups de mains est le passeport vers une certaine noblesse hooligan. Avoir le nez cassé, ou deux dents de moins, mérite assez bizarrement le respect. Le supporter et le missionnaire qui éprouve physiquement la douleur gagnent, parfois de façon posthume, la vénération de leurs coreligionnaires. Pour le foot du moins, car les amateurs de saut à ski s'échangent, eux, moins de bourres-pifs.

Ainsi vont les religions, pour prouver sa passion il faut endurer le tatouage, vaincre les éléments et échanger les baffes. On supporte la douleur comme on supporte une équipe. Est ce finalement un hasard si le dernier chemin de douleur de Jésus de Nazareth est appelé Passion du Christ?

Ce billet est une suite de "Le foot est une religion comme les autres!", que vous pouvez lire ici.